Notre parenthèse dans le Jura fut riche en aventures, marquée plus précisément par notre rencontre avec Gérard, un homme au grand cœur qui nous a fait partager tout à la fois sa passion pour sa région, son chalet d’alpage la Burdine, les vaches, la photo ainsi que l’art géopoétique et rural. Voici le portrait d’un homme haut en couleurs, qui ne savait malheureusement pas que, dans son extrême bonté, nous inviter à sa table le temps d’un goûter, c’était un peu comme nous adopter.
Ce portrait n’est pas réalisé dans le cadre d’un quelconque partenariat, juste l’envie de raconter un moment impromptu, plein de légèreté, de simplicité, de richesse et d’humanité, comme nous en avons eu si peu ces derniers mois (covidés, quoique plutôt ovidés dans le Jura) et que nous ne voulons pas oublier. Et peut-être bien aussi attiser la curiosité de ceux qui, comme nous, aiment découvrir des personnes passionnées, qui vivent plusieurs vies en une (comme les chats), et n’ont comme limite que leur imagination et l’envie dévorante de transmettre leur crin de sagesse enrobé d’un grain de folie pour un brin d’éternité.

Gérard, portrait de l’homme à la Burdine

Voilà déjà quelques jours que nous gambadons dans le Jura, sans avoir pour autant rencontré notre logeur Gérard. Son acolyte, Daniel, s’était improvisé guide de “hôte montagne” pour notre arrivée, et nous avait fait faire le tour du propriétaire. Evidemment, nous avons bien essayé de nous imaginer les traits de Gérard, un portrait robot du bonhomme, à la lueur des indices parsemés avec goût dans le chalet que nous occupions : un assemblage (comme diraient les cavistes), tout en contrastes, mariant le vieux et le neuf, le design et la récup’, un drôle de nid pour de drôles d’oiseaux – et pourtant tout semble y avoir sa place : du poêle à bois trônant au centre du salon à la tête de vache automate qui fait “meuh” accrochée au mur. Des photos étonnantes retiennent notre attention : des hordes de pots de laits en fer, formant des lignes interminables dans des paysages verdoyants du Jura, ou traversant les dunes d’un désert comme les caravanes de Lawrence d’Arabie… Des clichés à la fois drôles et poétiques.
C’est sur les serpents d’une route qui dévale une pente jurassienne, flanquée d’une armée de sapins au garde-à-vous, que nous prenons contact avec notre fameux Gérard. Alors que nous téléphonons pour un motif que j’ai totalement oublié, sa voix pleine de caractère nous propose de le rejoindre à son chalet d’alpage, appelé “La Burdine” pour un goûter.
Nous nous regardons (pas trop longtemps car la route tangue vachement), le regard et la bave en coins. Chic, on va manger. On met le cap sur l’endroit indiqué. Le GPS nous propose un itinéraire slalomant entre petits villages paumés, manifestations de conifères en colère, et rassemblements bovins tous terrains.
Notre carrosse passe du bitume à un amas de caillasses, de boue et d’herbe folle qui forme désormais notre chemin vers “La Burdine”.
Ballotés comme des fagots, nos derrières s’enfoncent dans les sièges, puis nos crânes dans le toit, au rythme des chaos de notre auto. La neige s’est invitée dans la déco, formant de petits tapis blancs entre les sapins et les bovins. Nous arrivons enfin.
On gare notre citadine à côté de ce qui nous semble être un tank : un gros KatKat noir aux pneux joufflus, sur lequel nous lisons en grosses lettres : “bidons sans frontières”. Curieuse inscription, encore un mystère qui entoure notre propriétaire !
Nous faisons le tour de la bâtisse, plantée entre une épaisse couche de nuages blanc et un immense tapis vert de gris. Tout autour, des sapins se serrent les uns contre les autres, les pieds dans la neige et le nez au vent. Nous frappons à la porte, puis entrons, faute de réponse. Nous traversons un vestibule embouteillé de tout l’attirail probable du berger, pour pénétrer dans une cuisine, toute de bois vêtue, traversée d’une grande table aussi robuste que les gaillards qu’elle a l’habitude de recevoir. Nous nous signalons une nouvelle fois, mais n’obtenons pour toute réponse que le craquement sec d’une bûche qui décède paisiblement dans son poêle chauffé à blanc.
Nous vidons les lieux pour mieux en faire le tour, et trouvons enfin âme qui vive, et pas n’importe laquelle. Ce cher Daniel, le sourire orné de sa blanche moustache, les bras chargés de…trucs qui servent sans doutes à faire des choses fort à propos, vient à notre rencontre. Il a pris goût à son rôle de guide, le Daniel, et se fait un devoir de nous enseigner les grands fondamentaux du chalet d’alpage.
Nous l’écoutons religieusement nous expliquer que le toit de l’édifice a pour fonction de récupérer les eaux de pluie qui seront stockées dans des réservoirs souterrains pour abreuver les troupeaux sur place. En effet, aucune retenue d’eau naturelle, ni aucun ruisseau ne figurent dans ce paysage montagnard. La faute aux sols drainants apprendrons-nous par la suite. Bref, Daniel, lui, ne tarit pas d’explications et nous abreuve avec abondance (ce n’est pourtant pas la région) de son savoir.
Il nous signale au passage que Gérard est bien au chalet, occupé à de menus réglages sur autre point d’eau de l’habitat : les WC.

Nous repartons tous les trois vers le chalet et tombons finalement nez à nez avec Gérard, planté dans de solides godasses, sur le pas de sa porte.
On se salue, notre hôte nous toise à travers des lunettes rectangulaires aux montures noires, aussi épaisses que son pull (un bel exemple de l’assemblage tout en contrastes cité plus haut). Il nous accueille d’un air un peu bourru mais Il ne lui faut pas plus de trois minutes, à Gérard, pour nous faire entrer dans son univers : une fois la grande porte en bois massif poussée, c’est un peu comme s’il nous ouvrait son coeur. Il veut nous faire visiter, et là on sent d’un coup le passionné. On ne sait plus trop qui est habité dans cette affaire. Où que l’on pose les yeux, il y a un truc à apprendre, une chose qu’il faut savoir. On commence par le commencement : les fondations, la structure, la fonction du lieu dans son environnement, le choix des matériaux de construction, les techniques empruntées aux suisses et j’en passe… Même qu’au milieu de cette grande pièce, il y avait une cheminée immense. Et que là-bas arrivaient les troupeaux pendant la transhumance. Il nous avoue aimer les vaches et collectionner les clarines – une quinzaine d’exemplaires, de toutes tailles, de toutes les nationalités, certaines très ornementées, pendent fièrement au dessus de nos têtes. Nous apprenons, que certains modèles sont numérotés, comme l’i-phone ou le “sent-bon” de chez Chanel.
Il affectionne peut-être les cloches, mais il est loin d’en être une. Rien de ce qui nous entoure n’est là par hasard, et il nous le fait savoir, sans pour autant être vantard.

© Gérard Benoit à la Guillaume. © Gérard Benoit à la Guillaume.

Burdine Man
De fil et en anecdotes : on fait le tour des pièces, on s’arrête sur des détails de façonnage, on tourne sur nous-mêmes dans chaque recoin. Le savions-nous ? la fonction première du chalet d’alpage n’est pas de loger mais d’abreuver les troupeaux ? Oui, Gérard, tu nous l’as déjà dit. Il nous attire enfin dans une vaste salle, la plus grande du chalet, haute de plafond, et au centre de laquelle trône un immense poêle à bois noir, la gueule rougeoyante de braises.
On y découvre la somme de toutes les passions de Gérard : un point de convergence pour les amoureux de la nature, un lieux de rencontre pour les artistes de tous crins, un temple pour tous ceux qui aiment faire la fête… des tables, un piano, une vaste marmite en cuivre, des clarines, des horloges design en bouse de vache crées de sa main et de celle d’une woofeuse (ça ne s’invente pas) s’étalent dans cet immense espace qui un jour, avait accueilli en son sein, des troupeaux entiers pour la transhumance. On imagine sans peine un tourbillon de convives, riants, et festoyant dans cette grande salle, partageant bruyamment leurs idées, leurs envies… ces visions se fanent peu à peu, gommées par la pénible réalité du coronavirus, omniprésent, brisant sur son passage tous les élans.
Gérard regarde autour de lui, mélancolique, et impatient d’entendre la Burdine résonner à nouveau aux sons de ses bienheureux voyageurs.


À savoir
Pour connaître toutes les manifestations organisées à la Burdine et ne pas les rater si vous passez ou habitez dans le Jura, vous retrouverez les dates et programmes des Burdine Man ici !
L’heure du goûter à la Burdine
Le tour se termine, nous revenons à la cuisine. Évidemment, pas d’eau courante, des bassines, des seaux, toutes sortes de récipients s’entassent dans tous les coins de la pièce. Il est temps de casser la croûte, et pas n’importe laquelle : une énorme miche de pain, dont la forme semble avoir été obtenue en enroulant la pâte sur elle-même avant de l’enfourner, créant ainsi un appétissant tourbillon de mie et et croûte dorée.
Nous nous taillons de généreuses parts à l’opinel, que nous badigeonnons ensuite d’une confiture de poire (maison) qui se fait un malin plaisir à dégouliner entre les trous du pain frais. Daniel agrémente sa tartine d’un bloc de beurre et l’engouffre sans sourciller. Sa moustache passe un bon coup de balai sur le morceau de pain beurré. Avec un tel apport de matière grasse, j’imagine que la mastication n’est plus indispensable et que tout ce qui est ingéré doit dévaler la pente jusqu’à l’estomac sans arrêt aux stands. Pratique. Nous arrosons notre en-cas d’un thé bouillant, les conversations allant bon train, sur tout, sur rien, et sur la Burdine.
Nous apprenons que, contrairement aux apparences, Daniel n’est pas du coin : wooffer originaire du Pas-de-Calais, il est devenu un résident presque permanent de la Burdine, prêtant main forte à Gérard dans les mille et une tâches que réclament la remise en état et l’entretien d’un tel édifice. Il loge dans un petit chalet, sur la propriété de Gérard, avec une vue à tomber sur des monts dévorés par des hordes d’épicéas… ils ont le sens de l’accueil ces Jurassiens.

Bidons sans frontières, du Land Art made in Jura

Quant à notre hôte, Gérard : nous découvrons au détour des conversations un photographe qui a fait les 400 coups, un original à n’en pas douter, qui donne vie et fait voyager des bidons de lait au gré de ses envies dans les reliefs Jurassien et même jusque dans les dunes marocaines.
Nous avons donc percé l’énigme des « Bidons sans frontières », écrits en gros caractères blancs sur le tank noir de notre Gérard, et dont nous avions vu des photos dans notre logement. Ces bidons ont donc trouvé leur papa, qui a décidé de leur donner une seconde vie en créant des oeuvres qu’il qualifie de géopoétiques. Ils viennent donc habiller les courbes de montagnes, de lacs, de villes, non sans l’aide de généreux collaborateurs pour déplacer ces centaines de bidons de 40 litres. Furieusement photogéniques, ils portent leurs couvercles en guise de sourires, heureux de cette seconde vie ; si le message est inspirant et poétique, « bidons sans frontières » met à l’honneur les territoires du Jura, la vie rurale et prend vie grâce à toutes ses mains qui viennent aligner ces sourires ensemble le temps de l’événement.

© Gérard Benoit à la Guillaume. © Gérard Benoit à la Guillaume.

© Gérard Benoit à la Guillaume. © Gérard Benoit à la Guillaume.
En savoir plus
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ces bidons sans frontières et leur géniteur, dont le cœur s’est définitivement emballé pour le Jura, ses vaches, son climat et qui ne vit que pour transmettre généreusement son enthousiasme à qui voudra… Vous pouvez filer sur le site ici.
Une journée qui s’achève à la Burdine
Le soleil, malade et le teint pâle, ne s’est jamais vraiment levé, mais avec l’heure tardive, commence à vraiment fatiguer. Il est temps pour nous de prendre congé.
C’est repus, tout sourire, et un peu envieux, que nous abandonnons Gérard et Daniel à leur Burdine, leurs tartines, leur petit coin de feu, leur “p’tit coin d’paradis” comme aurait chanté un autre moustachu s’il les avait connus…
Toutes les photos de cet article sont la propriété du photographe © Gérard Benoit à la Guillaume.

Infos sur la Burdine
Retrouvez toutes les informations sur le chalet d’alpage sur le site de la Burdine ici.
Plus de Jura
Si vous voulez plus d’aventures jurassiennes, découvrez notre itinéraire complet par là !
4 Comments
Paule-Elise
19 octobre 2020 at 10:22Très chouette portrait ! C’est vraiment important de mettre en valeur les personnes qui font un territoire, on essaie de le faire aussi et ça donne un supplément d’âme, je trouve. Et j’ai ri avec le titre Burdine Man 😉
la lykorne illettree
1 novembre 2020 at 16:54Merci beaucoup ! Oui, tu fais cela très bien en effet, contente que cet article sur la Burdine et son chouette propriétaire te plaise : j’ai rigolé aussi en découvrant que Gérard appelait ses manifestations artistiques Burdine Man, le jeu de mots est parfait ^^ ! Bisous <3
Mandy
22 octobre 2020 at 18:13Cet article différent de d’habitude était par contre comme toujours ici hyper plaisant à lire ! De belles rencontres et un gouter qui me fait saliver (je suis un ventre sur pattes ! xD). Les photos sont vraiment superbes, j’adore l’idée des bouteilles de lait, génial sur les dunes marocaines ^^
la lykorne illettree
1 novembre 2020 at 17:01Alors pour un ventre sur pattes, le Jura semble tout indiqué… Merci pour ton commentaire, nous sommes fans aussi des « bidons sans frontières », et les photos de Gérard (et de son fils pour certaines) sont particulièrement belles 🙂 !!!